Un lancement ultra-stratégique signé Pat McGrath
En mars 2025, Louis Vuitton a officialisé ce qui était devenu le secret le moins bien gardé de l’industrie du luxe : son entrée dans l’univers du maquillage. Pour mener cette offensive ambitieuse, la maison a nommé Dame Pat McGrath au poste de Directrice de Création Maquillage, une alliance qui fait déjà frémir le monde de la beauté.
Surnommée « la maquilleuse la plus influente au monde », Pat McGrath n’est pas une inconnue chez Louis Vuitton. Après plus de 20 ans de collaboration dans les coulisses des défilés de la maison, elle apporte aujourd’hui sa vision révolutionnaire à ce projet d’envergure. « Ce que nous sommes sur le point de dévoiler va propulser cet univers dans une toute nouvelle dimension », promet-elle avec assurance.
Une collection pensée comme un manifeste
La collection inaugurale se compose de :
- 55 rouges à lèvres déclinés en deux finitions (satin crémeux et mat velouté)
- 10 baumes à lèvres enrichis en beurre de karité et acide hyaluronique
- 8 palettes d’ombres à paupières de quatre teintes chacune
Loin d’être une simple extension de gamme, cette offre reflète l’obsession de Pat McGrath pour la couleur. Chaque teinte a été pensée pour représenter « une possibilité et un rêve de couleur parfait » pour quelqu’un qui la cherchait peut-être sans le savoir. Le chiffre 55 pour les rouges à lèvres ? Un hommage au chiffre romain LV, incarnation même de la maison.
Un positionnement ultra-premium qui fait débat
Avec des prix atteignant 160 dollars (environ 140 euros) pour un rouge à lèvres et 250 dollars pour une palette d’ombres à paupières, La Beauté Louis Vuitton s’impose comme l’une des lignes de maquillage les plus chères du marché du luxe. À titre de comparaison, le rouge à lèvres Hermès, déjà considéré comme ultra-premium, est positionné à 80 dollars.
Ce tarif vertigineux s’explique par une approche radicalement différente : Louis Vuitton ne vend pas simplement du maquillage, mais des « objets d’art conçus pour être conservés pour toujours ». Le packaging, signé par le designer industriel allemand Konstantin Grcic, intègre des matériaux nobles (aluminium et laiton) et un système de recharge magnétique qui évoque le claquement d’une malle Louis Vuitton. Chaque détail, de la fleur à quatre pointes emblématique gravée sur les compacts à la signature olfactive créée par Jacques Cavallier Belletrud (maître parfumeur de la maison), a été pensé pour transformer l’acte de se maquiller en rituel de luxe.
Une stratégie de distribution révolutionnaire
Contrairement à la plupart des marques de beauté de luxe qui s’appuient sur des réseaux multimarques comme Sephora ou les grands magasins, Louis Vuitton adopte une approche d’exclusivité totale. La Beauté sera uniquement disponible dans une sélection de 92 à 116 boutiques Louis Vuitton dans le monde, sur louisvuitton.com, ainsi que dans quelques points de vente ultra-sélectifs comme Harrods et deux pop-ups stratégiques à New York et Séoul.
Cette verticalité rappelle le modèle Hermès, qui a démontré depuis 2020 qu’un lancement ciblé et exclusif pouvait générer une désirabilité exceptionnelle. Pietro Beccari, PDG de Louis Vuitton, justifie ce choix : « En ayant une distribution très restreinte et en réalisant les chiffres que nous faisons, cela nous donne le courage de nous étendre du parfum vers d’autres catégories cosmétiques. »
Cette stratégie présente plusieurs avantages :
- Contrôle total de l’expérience client : merchandising, formation des équipes, conseil personnalisé
- Préservation de l’exclusivité : pas de dilution de la marque dans des espaces multimarques
- Création d’une rareté désirable : l’accès limité renforce l’aura de prestige
- Maximisation des marges : absence d’intermédiaires dans la distribution
Le pari chinois : une approche « China-first »
Fait révélateur de l’importance du marché asiatique, Louis Vuitton a choisi de lancer La Beauté en avant-première en Chine le 20 août 2025, avant le déploiement mondial du 29 août. Cette stratégie « China-first » s’appuie sur plusieurs leviers :
- Le Centre de Recherche et d’Innovation Beauté LVMH à Shanghai, qui permet une R&D localisée
- Un marketing digital ciblé via WeChat, Douyin et Xiaohongshu
- Des collaborations avec des influenceurs et célébrités pour générer la demande
- La capitalisation sur l’appétit intact du public chinois pour les nouveautés de prestige
Un relais de croissance stratégique pour LVMH
Ce lancement intervient dans un contexte économique particulier pour le groupe LVMH. En 2024, la division mode et maroquinerie a reculé de 3%, tandis que la division parfums et cosmétiques a progressé de 4%, atteignant 8,42 milliards d’euros. Cette résilience de la beauté face aux turbulences du luxe traditionnel explique l’intérêt croissant des maisons de mode pour ce secteur.
La beauté présente des avantages économiques indéniables :
- Marges élevées : jusqu’à 30% sur certaines gammes de maquillage
- Fréquence d’achat récurrente : contrairement aux sacs ou vêtements
- Accessibilité relative : un rouge à lèvres à 160 dollars reste plus accessible qu’un sac à 3 000 dollars
- Effet « lipstick » : en période d’inflation, les consommateurs se tournent vers ces petits luxes accessibles
Pour Louis Vuitton, cette incursion dans le maquillage représente bien plus qu’une simple diversification. C’est l’opportunité de conquérir une clientèle plus jeune, qui n’a peut-être pas les moyens d’acheter un sac mais peut s’offrir un rouge à lèvres iconique, et ainsi entrer dans l’univers de la marque.
Les défis d’un marché ultra-compétitif
Si Louis Vuitton arrive avec une puissance de feu considérable, la maison fait face à des concurrents redoutables. Hermès (depuis 2020), Celine (2024) et bientôt Miu Miu ont déjà investi le territoire du maquillage de luxe. Sans oublier les mastodontes historiques comme Dior, Chanel et Guerlain qui dominent ce secteur depuis des décennies.
Le véritable test sera de prouver que le produit justifie le prix. Comme le souligne l’experte Marigay McKee : « Certaines personnes paieront juste pour la marque, mais ça ne peut pas être que du battage médiatique. Le produit doit être à la hauteur des attentes, sinon les ventes ne seront bonnes qu’au lancement. »
Une vision holistique du luxe lifestyle
Au-delà des produits eux-mêmes, Louis Vuitton déploie tout un écosystème autour de La Beauté. La maison propose une ligne de petite maroquinerie dédiée (trousses, étuis) et même une Malle Coiffeuse, évoquant directement l’héritage de la marque dans l’art du voyage. Dès les années 1920, Louis Vuitton fabriquait déjà des brosses, miroirs et nécessaires de toilette pour sa clientèle fortunée.
Cette approche s’inscrit dans une stratégie globale où chaque segment – du prêt-à-porter à la joaillerie en passant par le mobilier – contribue à une vision unifiée du style de vie de luxe. Pietro Beccari résume cette philosophie : « Entrer dans une nouvelle catégorie signifie accompagner nos clients partout où ils vont. »
Vers une nouvelle ère pour la beauté de luxe ?
Avec La Beauté Louis Vuitton, la maison française ne cherche pas simplement à ajouter une ligne de produits cosmétiques à son catalogue. Elle ambitionne de « redéfinir la beauté comme un style de vie, une expérience et une forme d’art à part entière » et d’établir « une nouvelle norme en matière de beauté de luxe ».
Le pari est audacieux : transformer le maquillage en objet de collection, en héritage à transmettre, au même titre qu’une malle ou un sac iconique. Si Louis Vuitton réussit cette alchimie, la maison pourrait bien inspirer toute une industrie à repenser les frontières entre cosmétique, artisanat et art.
Le verdict appartient désormais aux consommateurs. Seront-ils prêts à investir dans ces objets de beauté au prix d’œuvres d’art ? La réponse déterminera non seulement le succès de La Beauté, mais pourrait redessiner durablement le paysage du luxe cosmétique mondial.
À retenir :
- Lancement officiel le 29 août 2025 dans 92 boutiques Louis Vuitton mondiales
- Distribution exclusive en propre (pas de multimarques)
- Prix positionnés au sommet du marché du luxe
- Packaging rechargeable signé Konstantin Grcic
- Stratégie « China-first » avec avant-première asiatique
- Pat McGrath comme directrice de création maquillage



