La K-Beauty, nouvelle menace pour l’industrie cosmétique française ?

Alors que les exportations françaises de cosmétiques franchissent à nouveau la barre des 22,5 milliards d'euros, une ombre plane sur ce tableau apparemment reluisant : la Corée du Sud s'impose comme un concurrent redoutable qui grignote méthodiquement les parts de marché de la France, notamment en Asie.

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Un concurrent qui ne cesse de progresser

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les exportations sud-coréennes de cosmétiques ont atteint près de 10 milliards de dollars en 2024, soit une hausse spectaculaire de 20% par rapport à 2023. Pour mettre cela en perspective, la Corée du Sud est désormais le 4e exportateur mondial de cosmétiques, derrière la France et les États-Unis, et à quasi-égalité avec l’Allemagne.

Ce qui rend cette ascension particulièrement remarquable, c’est sa rapidité : en seulement dix ans, les exportations coréennes ont presque doublé, passant de 4,2 milliards de dollars en 2016 à 7,5 milliards en 2022, pour atteindre aujourd’hui les 10 milliards. Le gouvernement coréen vise même le rang de 3e exportateur mondial d’ici 2024, un objectif qui semble désormais à portée de main.

La débâcle française en Chine : un signal d’alarme

C’est sur le marché chinois que la menace coréenne se fait le plus sentir. Les exportations françaises vers la Chine ont reculé de 8,9% en 2024, pour atteindre 1,78 milliard d’euros. Plus inquiétant encore, la catégorie « Maquillage et soins du visage », qui représente plus de 80% des exportations françaises vers ce pays, a chuté de 12,2%.

Concrètement, alors qu’un rouge à lèvres français sur quatre était exporté vers la Chine en 2023, ce ratio est tombé à un sur cinq en 2024. Seule la parfumerie résiste avec une croissance modeste de 5,6% sur ce marché.

Cette érosion s’explique par plusieurs facteurs : la baisse de la consommation chinoise, l’émergence de marques nationales chinoises, mais surtout la montée en puissance de la K-Beauty qui séduit massivement les consommateurs chinois avec des produits innovants et plus accessibles que leurs équivalents européens.

Les secrets de la réussite coréenne

Une machine industrielle performante

L’industrie cosmétique coréenne repose sur un écosystème particulièrement structuré. Au sommet, on trouve deux géants, LG Household & Healthcare et AmorePacific, qui totalisent à eux seuls 50% du marché domestique. Ces groupes, qui accaparent 84% de la consommation locale, disposent d’une force de frappe considérable pour la R&D et l’innovation.

Mais la véritable force de la Corée réside dans ses ODM (Original Design Manufacturers). Cosmax et Kolmar Korea, respectivement 4e et 5e acteurs mondiaux en 2020, sont des acteurs discrets mais incontournables qui fabriquent des produits pour de grands groupes internationaux. Cette capacité de production à façon permet aux marques coréennes d’être extrêmement réactives et compétitives.

Le pays compte également plus de 8 942 petites entreprises cosmétiques, contre seulement 829 il y a dix ans. Ces entreprises, souvent regroupées dans le « K-Beauty Cluster » qui abrite plus de 200 entreprises, 6 institutions nationales de soins de santé et plusieurs centres R&D, forment un terreau fertile pour l’innovation.

L’innovation comme ADN

La Corée du Sud ne se contente pas de suivre les tendances, elle les crée. Les consommateurs coréens ont été à l’origine de nombreuses innovations qui ont révolutionné l’industrie mondiale : la BB Crème, la CC crème, l’Air Cushion, le LED Mask, et plus récemment les masques en tissu et les routines en 10 étapes.

Les marques coréennes investissent massivement dans des packagings créatifs et attrayants qui mettent en valeur les attributs des produits. Elles misent également sur des ingrédients innovants comme la mucine d’escargot, la centella asiatica ou le ginseng rouge, combinant tradition et science.

En 2025, la tendance s’oriente vers une approche plus minimaliste avec le « skinimalism », des produits multifonctions, et une forte intégration de la technologie (biofermentation, microfluidique, dispositifs LED connectés).

La puissance de la vague culturelle Hallyu

Le succès de la K-Beauty est indissociable de la « Hallyu », cette vague culturelle coréenne qui a déferlé sur le monde via les K-dramas et la K-pop. À la fin des années 2000, les célébrités coréennes se sont imposées comme des standards de beauté en Asie, créant une demande massive pour les produits qu’elles utilisent.

Cette synergie entre contenus culturels et produits cosmétiques persiste encore aujourd’hui. Au Royaume-Uni, on estime que 21% de la génération Z utilise des produits cosmétiques coréens. Sur TikTok, le hashtag #koreanhaircare génère des millions de vues, avec 31% des contenus incluant également des tags comme #scalpcare ou #haircaretips.

Une stratégie de diversification agressive

Consciente de sa dépendance à la Chine (qui absorbe près de la moitié de ses exportations), la Corée du Sud poursuit activement une stratégie de diversification géographique. Le plan gouvernemental de « développement de l’industrie cosmétique du futur » annoncé en 2019 vise précisément à étendre la présence coréenne sur l’ensemble des marchés mondiaux.

Cette stratégie porte ses fruits : la K-Beauty conquiert désormais l’Europe, l’Amérique du Nord et le Moyen-Orient. Les marques coréennes se positionnent avec succès sur des segments porteurs comme la clean beauty, la dermocosmétique et les cosmétiques halal, où elles peuvent rivaliser directement avec les acteurs occidentaux établis.

La réponse française : entre confiance et inquiétude

Face à cette offensive, l’industrie française maintient le cap. Les exportations ont progressé de 6,8% en 2024, portées principalement par la parfumerie qui affiche une croissance dynamique de 13,6%. Le « Made in France » reste un atout, avec plus de 60% de la production exportée et une réputation d’excellence solidement établie.

Cependant, cette croissance de 6,8% est en net ralentissement par rapport aux 10,8% de 2023, et les signaux d’alerte se multiplient. Emmanuel Guichard, délégué général de la FEBEA, reconnaît que « la Corée est un nouveau vrai concurrent mondial » et que « on va retrouver ce concurrent un peu partout dans le monde ».

Pour Marc-Antoine Jamet, président de Cosmetic Valley, « la menace chinoise est plus inquiétante » que celle des droits de douane américains. La politique « China first » de Pékin, combinée à l’émergence de marques nationales et à la montée en puissance de la K-Beauty, crée un environnement de plus en plus difficile pour les exportateurs français.

Les enjeux pour demain

La bataille qui s’engage entre la France et la Corée du Sud pour la domination du marché cosmétique mondial se jouera sur plusieurs terrains :

L’innovation : Les marques françaises devront accélérer leur rythme d’innovation pour rivaliser avec la créativité coréenne. La tendance à la personnalisation par l’IA, à la durabilité et aux formules multifonctions nécessite des investissements massifs en R&D.

L’agilité : L’écosystème coréen, avec ses ODM ultra-réactifs et ses milliers de petites entreprises innovantes, peut lancer de nouveaux produits beaucoup plus rapidement que les grands groupes français. Cette agilité est un avantage compétitif majeur dans un marché qui évolue à la vitesse des réseaux sociaux.

Le marketing digital : La K-Beauty excelle dans l’exploitation des réseaux sociaux et des influenceurs. Les marques françaises, souvent positionnées sur le luxe et la tradition, doivent adapter leur discours pour séduire une nouvelle génération de consommateurs ultra-connectés.

La compétitivité-prix : Avec des coûts de production généralement inférieurs et une politique de volumes, les produits coréens sont souvent plus accessibles que leurs équivalents français, tout en maintenant une qualité perçue élevée.

Conclusion : la fin d’une ère de domination ?

La montée en puissance de la Corée du Sud dans le secteur cosmétique n’est pas un phénomène temporaire. Portée par un puissant appareil industriel, une capacité d’innovation remarquable et le soft power de sa culture populaire, la K-Beauty est en train de redessiner la carte mondiale de la beauté.

Pour la France, longtemps référence incontestée dans ce domaine, le défi est immense. Si le pays conserve des atouts indéniables avec sa parfumerie d’exception et son savoir-faire reconnu, l’érosion de ses positions en Asie montre que rien n’est acquis.

La question n’est plus de savoir si la Corée du Sud va continuer à progresser, mais si l’industrie française parviendra à s’adapter suffisamment vite pour conserver son rang. Dans cette course, chaque point de pourcentage perdu sur le marché chinois ou ailleurs est un signal d’alarme qu’il serait dangereux d’ignorer.

L’année 2025 sera probablement décisive. Avec un marché mondial évalué à 220 milliards d’euros et une concurrence de plus en plus féroce, seules les industries les plus innovantes et les plus agiles survivront. La bataille de la beauté ne fait que commencer.

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