LVMH vs Kering vs Hermès : la bataille de la beauté

L'année 2024 a marqué un tournant historique dans l'industrie du luxe. Pour la première fois, LVMH a vu sa division parfums et cosmétiques afficher une performance supérieure à celle de la mode et maroquinerie : +2% pour atteindre 8,4 milliards d'euros, contre un recul de 3% pour le segment historiquement le plus rentable du groupe. Ce renversement de tendance révèle une transformation profonde du marché du luxe et annonce une bataille stratégique entre les trois géants français.

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La beauté : un rempart contre la volatilité du luxe : 

Alors que le secteur du luxe traverse une période d’incertitude marquée par le ralentissement de la demande chinoise et une consommation plus sélective, la beauté démontre une résistance exceptionnelle. Plusieurs facteurs expliquent cette performance :

L’accessibilité du luxe.

Un rouge à lèvres Dior ou un parfum Guerlain reste infiniment plus accessible qu’un sac à main Vuitton. Cette démocratisation permet de toucher une clientèle plus large et moins sensible aux fluctuations économiques. Le ticket d’entrée moyen dans l’univers de la beauté de luxe se situe entre 50 et 150 euros, contre plusieurs milliers pour la maroquinerie.

La consommation récurrente.

Contrairement à un sac iconique qui traverse les années, un parfum se renouvelle tous les quelques mois. Cette consommabilité crée un flux de revenus régulier et prévisible, particulièrement précieux en période d’instabilité.

L’explosion du digital et de l’influence.

Les réseaux sociaux ont transformé la beauté en spectacle quotidien. TikTok, Instagram et YouTube génèrent un cycle permanent de désir et de renouvellement, alimenté par les influenceurs et les tutoriels. Cette viralité instantanée crée des phénomènes de demande que la mode traditionnelle peine à reproduire.

Les trois stratégies des champions français

LVMH : l’empire de la diversification

Le groupe dirigé par Bernard Arnault a bâti le portefeuille de marques beauté le plus puissant au monde. Avec Dior, Guerlain, Givenchy, Benefit, Make Up For Ever, Fresh et Acqua di Parma, LVMH couvre tous les segments et tous les continents. La force du groupe réside dans sa capacité à orchestrer des synergies entre maisons tout en préservant leur identité.

La stratégie repose sur trois piliers : l’innovation produit constante, l’investissement massif en communication et la distribution omnicanale. Sephora, détenu par LVMH, constitue un avantage compétitif majeur en offrant une vitrine mondiale pour ses marques tout en captant les données clients essentielles à l’innovation.

Kering : le pari de la montée en gamme

Longtemps en retrait sur le segment beauté, Kering a accéléré depuis 2023. Le groupe a organisé sa division Beauté de manière autonome et investit dans des marques ultra-premium. L’acquisition récente de Creed pour 3,5 milliards d’euros témoigne de cette ambition.

La stratégie de François-Henri Pinault diffère de celle de LVMH : plutôt que la massification, Kering mise sur l’exclusivité et la rareté. Avec Gucci Beauty et Yves Saint Laurent Beauté comme fers de lance, le groupe cible une clientèle fortunée prête à payer une prime pour l’excellence et l’unicité. Cette approche génère des marges supérieures mais limite le volume.

Hermès : l’exception artisanale

Hermès reste fidèle à son ADN : l’exclusivité absolue. Sa division beauté, microscopique comparée à ses concurrents, incarne le luxe le plus inaccessible. Les fragrances Hermès et la gamme maquillage Rouge Hermès ne cherchent pas le volume mais le prestige.

Cette stratégie de niche ultra-premium crée un effet de halo qui valorise l’ensemble de la marque. Chaque produit beauté devient un objet de collection, vendu dans des quantités limitées et une distribution ultra-sélective. Hermès transforme ainsi la beauté en extension naturelle de son univers équestre et artisanal.

Pourquoi la beauté devient incontournable

Des marges attractives et une scalabilité supérieure

Si la maroquinerie de luxe affiche traditionnellement des marges opérationnelles de 30 à 40%, la beauté premium atteint régulièrement 20 à 25% avec une scalabilité bien supérieure. Une fois les investissements en R&D et marketing amortis, la production peut s’ajuster rapidement à la demande sans les contraintes artisanales de la maroquinerie.

La conquête des marchés émergents

L’Asie du Sud-Est, l’Inde et le Moyen-Orient représentent des relais de croissance considérables. Dans ces régions, la beauté constitue souvent la première exposition au luxe occidental. Les millennials et la Gen Z de ces marchés dépensent proportionnellement plus en cosmétiques qu’en mode, inversant les schémas de consommation occidentaux.

L’innovation comme moteur permanent

La beauté bénéficie de cycles d’innovation courts et de lancements produits fréquents. Deux à quatre collections par an permettent de maintenir l’attention des consommateurs et de créer un sentiment de nouveauté permanente. Cette agilité contraste avec les cycles plus longs de la mode et de la maroquinerie.

Les technologies émergentes offrent également des opportunités inédites : personnalisation grâce à l’IA, clean beauty et formulations durables, expériences en réalité augmentée pour tester virtuellement les produits. Cette effervescence technologique maintient la beauté au cœur de l’innovation du luxe.

Les défis de la bataille à venir

La pression de la durabilité

Les consommateurs, particulièrement les jeunes générations, scrutent désormais l’impact environnemental des cosmétiques. Formulations, packaging, approvisionnement en matières premières : chaque étape fait l’objet d’une vigilance accrue. Les groupes investissent massivement dans la R&D verte pour maintenir leur image tout en répondant aux nouvelles attentes.

La menace des pure players

Fenty Beauty de Rihanna, Kylie Cosmetics, Rare Beauty de Selena Gomez : les marques de célébrités bouleversent les codes. Leur agilité digitale, leur connexion directe avec les consommateurs et leur authenticité perçue constituent une menace sérieuse pour les maisons historiques. Les géants du luxe doivent trouver l’équilibre entre héritage et modernité.

La saturation des marchés matures

L’Europe occidentale et l’Amérique du Nord montrent des signes d’essoufflement. La multiplication des lancements crée une forme de fatigue chez les consommateurs. Pour maintenir la croissance, les groupes doivent soit conquérir de nouveaux territoires, soit inventer de nouvelles catégories de produits.

Vers une nouvelle hiérarchie du luxe ?

La performance 2024 de LVMH pourrait annoncer une reconfiguration durable de l’industrie. Si la beauté devient structurellement plus performante que la maroquinerie, les stratégies d’acquisition et d’investissement des groupes vont s’ajuster.

Kering, conscient de son retard, multiplie les acquisitions pour rattraper LVMH. Hermès, fidèle à sa philosophie, restera probablement à l’écart de la course au volume. Mais tous trois partagent une certitude : la beauté n’est plus un complément, elle est devenue un pilier stratégique du luxe moderne.

Cette bataille ne fait que commencer. Les prochaines années diront si la beauté confirme son statut de relais de croissance ou si elle constituera le nouveau cœur de métier des géants du luxe français. Une chose est certaine : le rouge à lèvres a détrôné le sac à main comme symbole de la résilience du luxe.

 

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